Résumé : | Nous savons bien que la prise en charge de ce que nous appelions dans les années 1970-80 les toxicomanes est née à partir d’une quadruple rupture : rupture avec l’hôpital général et l’hôpital psychiatrique, rupture avec la relation millénaire qui « unissait » un malade à son thérapeute, rupture avec la loi d’organisation des soins qui valait en France dans les années 1970 (la sectorisation), mais enfin et surtout, rupture avec la clinique et la nosographie psychiatrique.
Face à cette nouvelle population de « mutants », qui mettait en avant des symptômes qui n’en étaient pas selon les arcanes psychiatriques, dont la clinique ne correspondait en rien au tableau diagnostique de l’époque, et qui enfin, se refusait à la fois à être prise en charge par le système hospitalier et à réagir « convenablement » aux traitements pharmacologiques proposés, les thérapeutes ont rapidement compris qu’il leur fallait inventer, innover de nouvelles formes d’approche, de nouvelles conditions d’alliance thérapeutique, de nouvelles références en termes de fonctionnement institutionnel. Mais il fallait également construire de nouveaux cadres cliniques et pratiques permettant à la fois de décrypter ce qu’avait à dire cette population et d’imaginer les meilleurs types de réponses possibles.
Petit à petit s’est donc dégagée une clinique du toxicomane utilisant des données issues de la psychanalyse, de la médecine et de la psychiatrie, mais aussi de la sociologie, de la phénoménologie, de l’anthropologie, etc. Deux notions centrales ont été dégagées : la reconnaissance de l’importance de la subjectivité et la nécessité d’un abord triple à travers le produit, la personnalité et le moment socioculturel.
Ces repères sont toujours d’actualité, même si l’arrivée de la substitution a pu faire croire un temps que le traitement de la toxicomanie serait exclusivement pharmaceutique.
Cette clinique de la dépendance qui s’est fait jour a permis d’« exporter » vers d’autres « toxicomanies sans drogue », pour reprendre les termes de Fénichel, ces principes d’abord et de prise en charge du fait addictif. Si bien que les demandes qui nous furent alors adressées dépassèrent de plus en plus les « simples » pharmacodépendances.
C’est ainsi que vinrent dans nos institutions des joueurs pathologiques, des dépendants des jeux vidéo, des cyberdépendants, des dépendants sexuels, des dopés du quotidien, etc.
L’évidence d’une spécificité de la psychologie, de ce qui s’appellerait dès lors les addictions, s’est imposée à l’ensemble des professionnels. Dans le même temps, l’intérêt de développer le plus d’outils différents est devenu une évidence, avec pour corollaire, la nécessité du décloisonnement des pratiques et des réflexions. C’est à cette nouvelle psychologie des addictions qu’est consacré le dossier de ce numéro.
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