Résumé : | Lorsque, par son volet compassionnel, la loi du 31 décembre 1970 jetait les bases d’une réponse thérapeutique aux problèmes de drogue, il était peut-être difficile d’imaginer que certaines structures seraient encore adéquates quarante et un ans plus tard.
Pourtant, nous avons vu émerger depuis une discipline nouvelle et en pleine expansion : l’addictologie, et celle-ci touche à des domaines si vastes qu’elle peine à être contenue dans l’univers de la médecine et de la biologie. La clinique des addictions ne se résumera jamais à une technique « standardisable », le plus important restant de l’ordre de la qualité de relation et d’écoute. Les addictions ne seront jamais des « maladies comme les autres », et dire que la toxicomanie est « une maladie chronique du cerveau » n’a pas grand sens. Par ailleurs, il faut aussi faire place aux addictions sans drogues, aux « pharmaka » non chimiques, comme le jeu pathologique, qui sont de plus en plus reconnues comme des causes de souffrances individuelles et de coûts sociaux non négligeables.
Dans toutes les approches de la souffrance psychique se pose alors la question des limites de la science, à travers l’opposition entre explication et compréhension, histoire singulière et faits généralisables, valeurs et faits objectifs. Les problèmes soulevés sont aussi complexes qu’anciens : il s’agit de reposer sur de nouvelles bases les oppositions entre le « bio » et le « psycho », les sciences « dures » et les « douces » (selon l’expression de Michel Serres), sinon la nature et la culture, voire le corps et l’âme…
À cette dimension épistémologique s’ajoute la tension entre liberté individuelle – liberté de consommer – et devoir de protection des citoyens, de plus en plus citoyens-consommateurs. En effet, que la société produise et promeuve les objets mêmes dont elle prétend protéger les individus est une évidence. L’addict d’aujourd’hui est devenu la caricature de notre société, la victime de ses injonctions, et de l’idée que la consommation peut « réenchanter le monde ».
Les addictions remettent en question le champ de la prévention, en y révélant des enjeux éminemment politiques, notamment quant aux mesures de limitation de consommation imposées au plus grand nombre, au nom de la protection d’une minorité de personnes « vulnérables ».
Or, nous ne disposons pas d’une théorie unique de référence, d’un dogme derrière lequel nous pourrions nous abriter : scientifique, médical, psychanalytique, ou sociologique. Cette théorie doit sans cesse se réfléchir elle-même, s’interroger sur ses conséquences, non seulement pour les patients pris en charge, mais aussi sur l’impact qu’elle peut avoir sur la façon dont la société appréhende les « addicts » de toute sorte.
Ce sont ces interrogations qui ont été au cœur du congrès organisé pour le quarantième anniversaire du Centre médical Marmottan sur le thème : « Corps et âme : les addictions » et qui nous sert de dossier dans ce numéro. |