[article] Titre : | Mises en jeu: l'expérience ludique comme atout personnel et collectif | Type de document : | texte imprimé | Auteurs : | Alain Lemaitre, Auteur | Année de publication : | 2015 | Article en page(s) : | pp. 1-32 | Langues : | Français | Résumé : | « L’Homme n’est pleinement Homme que quand il joue. » (Friedrich von Schiller, 1759-1805)
Voyant le terme « jeu » associé avec le nom de notre revue, Drogues Santé Prévention, certain(
e)s
pourraient s’attendre à un numéro consacré aux dangers du jeu et aux possibles addictions qu’il
provoque 1. Nous avons décidé, en contre-pied, de prendre la défense du jeu dans sa dimension
socio-anthropologique, comme expérience humaine et relationnelle, et d’interroger quelle place
positive il peut prendre dans nos vies.
On a l’habitude d’opposer jeu et travail sérieux, voire jeu pour le plaisir et jeu éducatif. Nous interrogerons
la tension qui peut résider entre ces définitions. Jeu, activité non-sérieuse, libre, à l’écart des
impératifs du quotidien ? Outil à destination d’un objectif précis d’apprentissage porté par l’adulte ou
l’éducateur ? Une activité « frivole » peut-elle fonder un processus éducatif ? N’est-ce pas manipulation
que d’utiliser le jeu pour faire passer des messages ou « édifier » moralement un public ?
Beaucoup de précautions seront de mise quand il s’agira de lier jeu et intention éducative. Reste que
le jeu est l’occasion d’une foule d’apprentissages informels, il donne l’occasion de partager une expérience
dont les effets qui l’accompagnent, en passant par le plaisir, peuvent devenir facteurs d’apprentissages
inattendus, de découverte, de dévoilement et d’un engagement créatif dans le réel.
Nous pourrions, tout comme Sylvie Van Lint nous le propose dans sa contribution, faire appel à
D.W. Winnicot (1896-1971) rappelant l’importance essentielle du jeu et de la créativité dans l’existence
humaine par leur aspect transitionnel. Les objets et les espaces transitionnels nous permettent de
tester et de symboliser la réalité, lui donnant un sens et la rendant vivable. L’espace transitionnel est
ainsi une aire d’expérience qui permettra, selon l’expression de Winnicot, de se prendre au jeu de la
vie.
La créativité et le jeu créatif seront envisagés alors comme « un mode créatif de perception qui donne
à l’individu le sentiment que la vie vaut la peine d’être vécue ; ce qui s’oppose à un tel mode de perception,
c’est une relation de complaisance soumise envers la réalité extérieure : le monde et tous
ses éléments sont alors reconnus mais seulement comme étant ce à quoi il faut s’ajuster et s’adapter.
La soumission entraîne chez l’individu un sentiment de futilité, associé à l’idée que rien n’a d’importance.
Ce peut être même un réel supplice pour certains que d’avoir fait l’expérience d’une vie
créative juste assez pour s’apercevoir que, la plupart du temps, ils vivent de manière non créative,
comme s’ils étaient pris dans la créativité de quelqu’un d’autre ou dans celle d’une machine 2. »
Le jeu est important comme espace culturel favorisant l’expression de soi et la construction de
l’estime de soi, mais il peut être aussi vécu sur un mode passif et adaptatif. C’est ici qu’il nous faut
rester vigilant face à l’utilisation des outils ludiques comme instruments de domination de l’adulte
sur l’enfant ou de l’éducateur sur l’apprenant, mais aussi face à la culture du divertissement de la
société de consommation et du monde capitaliste. Nous assistons à une multiplication des injonctions
à la participation, à « jouer le jeu » sur un terrain miné par des logiques de pouvoir et de compétition
que l’on ne permet pas de remettre en question 3.
Nous espérons, avec l’aide et la variété de nos contributeurs/rices, donner des chemins d’inspiration
pour éviter que le jeu ne devienne un instrument de reproduction d’inégalités sociales et culturelles.
En ce sens, c’est sous l’angle de ses possibilités émancipatrices que nous avons construit ce numéro
sur le jeu, entendu comme un objet culturel à part entière.
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